Pourquoi l’écorce fût-elle définie comme « manteau de peau » et « peau de cuir » ? L’écorce, la chair : toutes deux tissus cellulaires vivants, toutes deux tissus sensibles et protecteurs. Entre l’arbre et l’homme, tant de similitudes troublantes que j’explore sous forme d’ouvrages et de dessins. C’est dans le silence lié à l’observation de la nature et dans la lenteur liée à l’exécution que les rapprochements de matières à matières s’effectuent. De l’écorce à la chair, les processus de réconciliation se révèlent, les mémoires sensorielles s’éveillent. Regarder : dessiner, mémoriser. Toucher : repriser, redonner vie. À cet instant, œuvrer à l’espoir d’une concordance entre tous les organismes vivants, redéfinir les liens. Les arbres sont-ils nos frères ?
Isabelle Jolivet | Texte associé à la série Et l’écorce se fit chair, 2022
Le moins qu’on puisse dire c’est que tu as laissé des traces. Que veux-tu dire ? On se connait ? C’est quoi cette sempiternelle répétition. On se touche tous – on se connait tous – on se reconnait les uns dans les autres. C’est quoi alors ce perpétuel besoin d’être reconnu par toi. Par ici tu pourras venir reprendre ce que tu penses avoir perdu. Là tu pourras laisser quelque chose de toi. Tu liras toi-même ce que tu as voulu dire, aussi indélébile que ce qui constitue ton corps aux trois quarts composé d’eau. Après, tu pourras revenir vers nous. Trace : empreinte ou suite d’empreintes, de marques que laisse le passage d’un être ou d’un objet – Piste, les traces d’une bête ; brisées, foulées. Suivre à la trace, suivre les traces, marcher sur les traces de quelqu’un : suivre son exemple. Marque laissée par une action quelconque. Traces de sang, d’encre que laisse une chose tachée de sang, d’encre. Trace : ce à quoi on reconnait que quelque chose a existé. Ce qui subsiste d’une chose passée. Reste, vestige. La trace émouvante des civilisations. Et ? Non c’est décidé il n’y aura pas de règles précises. Next time – fais-toi un pense-bête avant de partir sinon tu vas encore m’oublier.
Isabelle Jolivet, texte extrait de Lettre ouverte II, 2018.
La chronologie, le temps, la transmission : Isabelle Jolivet les interroge. Alors elle questionne le silence, la lenteur, le rapport à la lenteur. Le mouvement d’un élément à l’autre, celui d’un être à l’autre, et celui des autres dont elle poursuit la trace. La trace de ces autres artistes qui l’ont marquée de leur expression à la fois crue et juste. De la plus charnelle au plus doux. Les traces de Nancy Spero, de Carol Rama, de Louise Bourgeois, d’Odilon Redon et celles aussi d’Édouard Vuillard (le silence de ses compositions). Le mouvement d’elle à ces autres, de ces autres à elle. Elle dit que son environnement la comble – les voyages sont inutiles lorsqu’on a le sentiment d’avoir tout à portée de main : les témoignages et la mémoire, le rêve et l’imaginaire. Cette citation de Louise Bourgeois lui tient à cœur : J’ai toujours éprouvé une fascination pour l’aiguille et son pouvoir magique. L’aiguille sert à réparer les dommages. Elle est une demande de pardon.
Marielle Hubert, écrivain.